Le chaînon manquant

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james
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Le chaînon manquant Messagepar james » 18 avr. 2022 à 21:10
Retour sur une IS que je pense moi-aussi largement sous exploitée, celle du 8 février 1996.

Petit rappel du décryptage...



Une fois n’est pas coutume : jouons sur les mots puisque le pauvre hère est âgé.
Si dévot, l’abbé donne 2 idées.
Espérons qu’Ophélie et l’avocat l’aideront, sans haine également...
Voici le billet qu’ils lui glissent :

11 * 3,11,1,7,20,5 * 22,9,5,13,5,14,20,12,1,7,1 * 12,5 * 20,1,7,12,9,5,9,19 * 8,2,9,4,9,(12),5,19 * 1,7,5,13,5,14,20,12,5,26-22,12,9,5,21,19 * 5,13,5,14,20 * 13,5,1,7 * 3,1,13,5,14,20,20,2,9,4,1,7,9,17,21,5.

A1-B2-C3-D4-E5-F6-G7-H8-I9-J10-K11-L12-M13-N14-O15-P16-Q17-R18-S19-T20-U21-V22-W23-X24-Y25-Z26

K * CKAGTE * VIEMENTLAGA * LE * TAGLIEIS * HBIDI(L)ES * AGEMENTLEZ-VLIEUS * EMENT * MEAG * CAMENTTBIDAIQUE

Hère est âgé : R est AG
Dévot L : D vaut L
Abbé donne 2 idées : AB donne 2ID soit BID
Ophélie : O fait LIE
L’avocat : LA vaut K
Haine également : N égale MENT

LA CLARTE VIENDRA DE TROIS HABILES RENDEZ-VOUS EN MER CANTABRIQUE.





Pourquoi parler de " chaînon manquant " ? Parce que jusqu'ici, je n'étais pas parvenu à établir de lien précis entre tous les protagonistes de cette histoire : le Pauvre Hère, l'Abbé, Ophélie et l'Avocat. Je crois avoir trouvé quelque chose qui pourrait combler cette lacune, et même si le mystère de cette IS reste entier, puisque je n'ai toujours pas d'explication pour ces trois habiles rendez-vous en mer Cantabrique, j'aimerais vous présenter le fruit de mes recherches. Peut-être cela pourra-t-il inspirer quelqu'un.
« Finalement, ayant perdu l’esprit sans ressource, il vint à donner dans la plus étrange pensée dont jamais fou se fût avisé dans le monde. » Miguel de Cervantes
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 18 avr. 2022 à 21:44
L'un des éléments importants à découvrir dans cette IS est, je crois, le poème " Ophélie " d'Arthur Rimbaud...



I
Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles ...
- On entend dans les bois lointains des hallalis.

Voici plus de mille ans que la triste Ophélie
Passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ;
Voici plus de mille ans que sa douce folie
Murmure sa romance à la brise du soir.

Le vent baise ses seins et déploie en corolle
Ses grands voiles bercés mollement par les eaux ;
Les saules frissonnants pleurent sur son épaule,
Sur son grand front rêveur s'inclinent les roseaux.

Les nénuphars froissés soupirent autour d'elle ;
Elle éveille parfois, dans un aune qui dort,
Quelque nid, d'où s'échappe un petit frisson d'aile :
- Un chant mystérieux tombe des astres d'or.


II
O pâle Ophélia ! belle comme la neige !
Oui, tu mourus, enfant, par un fleuve emportée !
- C'est que les vents tombant des grands monts de Norvège
T'avaient parlé tout bas de l'âpre liberté ;

C'est qu'un souffle, tordant ta grande chevelure,
A ton esprit rêveur portait d'étranges bruits ;
Que ton cœurécoutait le chant de la Nature
Dans les plaintes de l'arbre et les soupirs des nuits ;

C'est que la voix des mers folles, immense râle,
Brisait ton sein d'enfant, trop humain et trop doux ;
C'est qu'un matin d'avril, un beau cavalier pâle,
Un pauvre fou, s'assit muet à tes genoux !

Ciel ! Amour ! Liberté ! Quel rêve, ô pauvre Folle !
Tu te fondais à lui comme une neige au feu :
Tes grandes visions étranglaient ta parole
- Et l'Infini terrible effara ton œil bleu !


III
- Et le Poète dit qu'aux rayons des étoiles
Tu viens chercher, la nuit, les fleurs que tu cueillis,
Et qu'il a vu sur l'eau, couchée en ses longs voiles,
La blanche Ophélia flotter, comme un grand lys.




Le thème Shakespearien

Ophélie reprend le thème shakespearien de l'héroïne d'Hamlet, Ophélie, femme délaissée amoureuse d'un prince qui devient folle et se noie de désespoir. Le poème est composés de neuf quatrains d'alexandrins à rimes croisées avec une numérotation de trois chapitres inégaux, deux égaux de quatre quatrains chacun et le dernier d'un seul quatrain comme un refrain isolé. Cette forme donne au poème une allure de complainte. Le nom anglais d'Ophélie "Ophélia" repris par Rimbaud confirme l'identité du thème. Le manuscrit daté du 15 mai 1870 est joint à la lettre que Rimbaud envoya quelques 10 jours plus tard au poète Parnassien Banville. Dans Hamlet, l’héroïne de Shakespeare est amoureuse du prince, mais incapable de comprendre sa folle quête de la vérité, finit par sombrer dans la folie, quand elle se croit abandonnée de son amant, et par se noyer de désespoir.

Rimbaud brosse avec les couleurs un véritable tableau, joue sur le contraste du noir " l’onde calme et noire " et du blanc " la blanche Ophélia ", adjectifs de couleur repris trois vers plus loin mais inversés... " voici plus de mille ans que la triste Ophélie passe, fantôme blanc, sur le long fleuve noir ".


Hallali (de hara, par ici)

Cri des chasseurs ou sonnerie de trompe annonçant que le cerf est aux abois, réduit à faire face aux chiens qui aboient et par similitude "être aux abois" c'est être dans une situation désespérée.


http://rimbaudexplique.free.fr/poemes/ophelie.html

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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 18 avr. 2022 à 22:03
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Ophélie est un poème d'Arthur Rimbaud écrit en 1870.

Le manuscrit autographe, non daté, est conservé à la British Library. Il a fait partie des poèmes remis à Paul Demeny et donc de ce qui est appelé le Cahier de Douai. Le poème figure, dans un texte un peu différent, dans la lettre adressée par Rimbaud le 24 mai 1870 à Théodore de Banville.

Ophélie a été publié pour la première fois dans " Reliquaire, poésies, L. Genonceaux, 18912. "



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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 18 avr. 2022 à 22:24

Hère

1 - Homme très misérable, (de l'ancien français haire, pauvre). Hère, dans ce sens, est toujours accompagné de l'adjectif pauvre.
2 - Jeune cerf ou un jeune daim âgé de six mois à un an et n'ayant pas encore ses premiers bois (du néerlandais hert, cerf).




En ne retenant pour l'instant que cette seconde définition, on peut légitimement considérer que, puisque le " pauvre hère " est âgé, il ne s'agit donc plus d'un jeune cerf n'ayant pas encore ses bois, mais bien d'un cerf adulte, ce qui nous permet un premier rapprochement avec le poème Ophélie et notamment le dernier vers de la première strophe où il est question d'hallalis.
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 18 avr. 2022 à 22:47
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Et voici à présent l'avocat... ou du moins ce qu'il en reste. Plus exactement, voici le reliquaire contenant le crâne de saint-Yves, patron des avocats et des prêtres de Bretagne. Et nous verrons demain qu'il s'agit d'un personnage ô combien intéressant...
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 09:23

Yves Hélory de Kermartin, ou Yves de Tréguier, ou Erwan Helouri en breton, ou saint Yves dans la tradition catholique, est un prêtre et official du diocèse de Tréguier, né probablement vers 1253 au manoir de Kermartin à Minihy, dans le Duché de Bretagne, et décédé le 19 mai 1303 au même endroit. Considéré par l'Église catholique comme ayant consacré sa vie à la justice et aux pauvres, il est canonisé le 19 mai 1347 par le pape Clément VI. Saint Yves est le saint patron de toutes les professions de justice et de droit, notamment celle d’avocat. Il est également saint patron de la Bretagne et fait l'objet d'un grand pardon à l'occasion de la fête de la Saint-Yves tous les ans à Tréguier. On le fête le 19 mai.

Des légendes, qui sont confondues avec des éléments historiques de la vie de Yves, existent aussi. Alain Bouchart en propose deux se déroulant à Tours et qui semblent procéder de son imagination ou d'une source inconnue6. Une des légendes qui est fréquemment attribuée à Yves, bien qu'absente du procès en canonisation, a acquis une certaine postérité. Elle est similaire à l'épisode de Seigny Joan et du rôtisseur dans Le Tiers Livre écrit par Rabelais. Appelé à traiter une affaire opposant un aubergiste à un mendiant qui se nourrirait des odeurs de la cuisine du premier, Yves prend quelques pièces dans sa bourse et les jette sur la table devant lui. L'aubergiste tend la main pour les prendre mais saint Yves retient sa main et lui dit que « le son paye l'odeur, à cet homme l'odeur de ta cuisine, à toi le son de ces pièces ». Cette légende sert alors à illustrer la façon dont saint Yves pouvait être reconnu par les démunis comme l'avocat qui fait justice sans tenir compte de la condition sociale.




Saint Yves défenseur des pauvres et des mendiants. On sait que le pauvre hère est âgé, que l'abbé donne deux idées, et qu'Ophélie et l'avocat doivent l'aider. Mais l'aider à quoi... à sauver le pauvre hère ? Pour ma part, c'est ainsi que je comprends l'IS, mais en jouant sur les différentes - les deux - définitions de " pauvre hère ". L'hallali du poème de Rimbaud suggère que le Cerf, traqué, est aux abois. Pas forcément par des chasseurs d'ailleurs, car la scène se passe de nuit, j'imagine mal une chasse à courre se déroulant la nuit, encore que je n'y connaisse pas grand chose. Mais il peut très bien s'agir d'une ou de plusieurs bêtes sauvages à la poursuite du cerf. Il s'agirait donc ici d'aider ce dernier à leur échapper. Vous l'aurez compris, avec saint Yves, nous jouons avec l'autre définition de pauvre hère, celle d'un homme pauvre voire misérable dont, avocat, il était reconnu pour être l'ardent défenseur. Notez que les deux définitions s'entrecroisent, car si on reprend celle d'hallali - Cri des chasseurs ou sonnerie de trompe annonçant que le cerf est aux abois, réduit à faire face aux chiens qui aboient et par similitude "être aux abois" c'est être dans une situation désespérée - on comprend bien que le pauvre hère mendiant est aussi en situation désespérée.
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 09:44
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Pourquoi " sans haine également " ? Là encore, le concours de saint Yves va nous être précieux pour comprendre cet aspect de l'IS, car ce saint Breton, prêtre et avocat, était aussi appelé " Saint-Yves-de-Vérité "...



Saint-Yves-de-Vérité était, à l'origine, l'une des appellations officielles données à saint Yves, mais qui, au cours des siècles, a plus particulièrement été attribuée à des statues de ce saint qui étaient invoquées, selon des pratiques superstitieuses, en Bretagne afin de faire mourir d'autres personnes dans l'année.

« Yves Hélory avait rempli avec tant de justice et de charité ses fonctions d'official (juge ecclésiastique) que, dans l'esprit du peuple, il ne pouvait manquer de continuer à trancher les litiges selon la plus stricte équité. Quiconque n'était pas en mesure, faute de preuves, de faire triompher son bon droit devant la justice des hommes, s'adressait à lui. Il connaissait toute vérité. Le recours à cette justice d'outre-tombe était chose grave et terrible. Celui qui se prétendait lésé à tort vouait son adversaire à Saint-Yves-de-Vérité, et, si sa cause était juste, la personne vouée mourait ou restait languissante. Mais si la plainte était mal fondée, c'était le voueur lui-même qui était frappé dans sa chair ».

Datant d'au moins 1620, le culte à Saint-Yves-de-Vérité consiste à aller trouver des statues de saint Yves portant ce nom précis (ou "Sant Ivo ar Virioneg" en langue bretonne), afin de lui demander par un rituel précis de rendre justice contre une autre personne. Si saint Yves était connu comme "l'avocat des pauvres", ces statues de Saint-Yves-de-Vérité avaient pour leur part la réputation d'être un peu moins catholiques, puisque les personnes ainsi "vouées" à la statue étaient censées mourir au bout de neuf mois. Des statues de Saint-Yves-de-Vérité existaient dans plusieurs endroits de Bretagne, mais aussi à Paris dans une chapelle Saint-Yves qui était proche de la Sorbonne. La plus connue des statues était celle de Tréguier (Côtes-d'Armor) qui était abritée dans une chapelle connue sous le nom de "Notre-Dame de la Haine".



Donc Saint-Yves-de-Vérité, oui, mais sans haine, c'est-à-dire - on le comprend aisément - sans ce genre de " recours à une justice d'outre-tombe ". On retrouve d'ailleurs là tout ce qui fait l'intrigue de la pièce de Shakespeare, un spectre qui revient d'outre-tombe réclamer vengeance auprès de son fils Hamlet qui, dès lors, entreprend une " folle quête de la vérité ".
Modifié en dernier par james le 19 avr. 2022 à 11:02, modifié 3 fois.
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 10:30

Culte


Le 29 mai 1347, à la levée du corps du saint, sa tête est placée dans un reliquaire et le reste des reliques mis dans un sépulcre que Jean V de Bretagne fait surmonter d'un monument, dans la cathédrale Saint-Tugdual de Tréguier, où le corps d'Yves avait été apporté juste après sa mort.

Son culte est resté particulièrement vivace en Bretagne où les chapelles qui lui sont dédiées ainsi que les statues le représentant sont très fréquentes. Les récits hagiographiques également comme, à titre d'exemple, celui-ci :

Quand les Bretons voyaient passer dans la campagne
Saint Yves revêtu de son grand manteau blanc
Ils se disaient que Dieu l'avait mis en Bretagne
Pour défendre des grands les faibles, les petits.
À son nom s'éveillaient, sur leurs couches funèbres
Des enfants dont les mères avaient fermé les yeux
Les marins l'invoquaient au milieu des ténèbres,
Et leurs barques passaient les brisants périlleux

— Joseph Rousse, pour l'inauguration du nouveau tombeau de saint Yves dans la cathédrale de Tréguier.


Dans un vieux cantique populaire, on le fêtait en chantant Sanctus Yvo erat brito; advocatus sed non latro, res mirabilis (miranda) populo (en français : « Saint Yves était breton, avocat mais pas voleur, chose admirable pour le peuple ! »).

Saint Yves est le saint patron de toutes les professions de justice et de droit, notamment celle des avocats. Chaque 19 mai, à Tréguier, lors de la fête de la Saint-Yves, une délégation de ces professions accompagne le pardon à saint Yves qui est une des grandes fêtes religieuses bretonnes, au même titre que le pardon de Sainte-Anne-d'Auray.





Et nous en arrivons donc à ce fameux reliquaire qu'ont en commun Ophélie, poésie qui figure dans le recueil du même nom, et saint Yves, à l'intérieur duquel repose le crâne.
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 11:22
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Vous l'aurez remarqué, le coffre reliquaire contenant le crâne de saint-Yves est orné de quatre alérions, ceci en raison des armoiries d'origine de la famille Hélory... " D'or, à la croix engreslée de sable, cantonnée de quatre alérions de même. "


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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 11:40
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 12:22

Au XIXe siècle, la science encore balbutiante de l'étymologie attribuait parfois l'origine du mot "alérion" au gaulois aliers (sorte d'oiseau vivant de rapines), ou, plus généralement, au latin aquilario, diminutif de aquila, désignant un petit aiglon. Toutefois, l'opinion la plus communément admise aujourd'hui est que le mot "alérion" vient du bas francique *adalaro, ou *adalarjo (aigle). Cette dernière forme *adalarjo a le mérite d'expliquer la finale -ion du mot français. Cette finale est source d'erreur, car on l'a longtemps prise pour un suffixe de diminution, faisant de l'alérion une sorte de petit aigle. Au contraire, l'alérion serait à l'origine mieux qu'un aigle, pourtant considéré en héraldique comme le roi des oiseaux. L'alérion avait en effet la réputation d'être plus grand et plus fort que l'aigle, et d'être capable de voler et de plonger dans la mer sans se noyer.


Pour le coup, c'est la forme Aquila qui va nous intéresser plus particulièrement, car comment mieux passer de Saint-Yves-de-la-Vérité et ses alérions à " Il n'y a qu'une seule Vérité "... et ... " à qui la faute " ?


IL N’Y A QU’UNE SEULE VERITÉ, ET IL FAUT LA TROUVER. MAIS LE CHEMIN EST PARFOIS TORTUEUX ET SEMÉ D’EMBUCHES. À QUI LA FAUTE ? PAS À MOI !.. JE RÉPÈTE : PAS À MOI !
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 15:26
Ah, tiens, voilà qui est plus surprenant...



Le premier texte qui, à ma connaissance, identifie de façon précise Prêtre Jean et Empereur des Ethiopiens est celui de Jourdain de Séverac, évêque de Quilon en Inde : " Les indigènes trouvent les os décharnés des dragons et recueillent l'escarboucle qui est enchâssée dans l'os de leur crâne et la portent à l'empereur éthiopien que vous appelez Prêtre Jean (Description des merveilles de l'Asie (1321-1330). " L'anecdote rappelle ici les contes populaires qui font des dragons les gardiens de trésor, en particulier d'émeraudes.

Les raisons du succès du texte

Si ce texte qui, d'une certaine façon, peut apparaître comme une accumulation de poncifs, a connu un tel succès, c'est qu'il répondait à une attente du public, et que celui-ci y a vu, non comme ses auteurs l'espéraient, un texte de propagande politique mais une occasion de rêver.
Aussi la lettre s'inscrit-elle dans la tradition des utopies. Le public n'a guère cherché à se renseigner davantage sur le souverain lui-même, mais a été constamment demandeur d'enrichissements dans la description des merveilles du royaume ; ces enrichissements ont essentiellement porté sur les descriptions de la faune cédant aux modes du temps : apparaissent les éléphants porteurs de castel, les licornes, les serpents gardiens du saint chrême, l'alérion, symbole de vie éternelle.


https://books.google.fr/books?id=8_ZWaU ... %A9rion%20




Encore que pas tant que ça, si je me réfère à mes propres découvertes, et notamment aux tapisseries de la Dame à la Licorne dont j'ai déjà abondamment parlé, ou même aux otages de la sainte Ampoule qui font ici écho aux serpents gardiens du saint chrême.
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 20:57

Dans la version longue de son Bestiaire, Pierre de Beauvais consacre une notice à l'alérion, avec des éléments fabuleux qui ne sont pas sans rappeler l'histoire du phénix. C'est une espèce d'aigle, de forte taille, dont il n'existe au monde qu'un seul couple. Après soixante ans, ils pondent deux oeufs et les couvent pendant soixante jours. Après l'éclosion des oeufs, les parents s'envolent vers la mer et s'y noient. L'auteur précise que " ses eles sont alsi tranchants comme un rasoir ". La description se retrouve intégralement dans les versions françaises de la " Lettre du prêtre Jean ", texte-source important pour les " mirabilia " de l'Orient et dont la grande diffusion est connue.

https://books.google.fr/books?id=Po9hoL ... %C3%A9rion




C'est effectivement un oiseau très intéressant. On le retrouve sur quantité de blasons, et même sur des pièces de monnaie, comme ici, sur cette pièce de 30 deniers de 1728, avec à l'avers un alérion couronné et au revers une croix de Jérusalem, qui n'est pas sans rappeler le blason de saint-Yves, à cette différence près que les quatre alérions n'en forment plus qu'un.


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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 19 avr. 2022 à 21:44
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Ce symbole de l'alérion semble vraiment être tenu en haute estime. Que représente-t-il ... la résurrection ? La Lumière dissipant les ténèbres ? L'unité retrouvée ? Sa ressemblance ici avec l'iconographie traditionnelle de la colombe de l'Esprit saint est aussi troublante. Il est dommage que je ne puisse faire de rapprochement plus poussé avec l'IS, et notamment le billet glissé par Ophélie et l'avocat. Par habiles faut-il entendre astucieux ? Auquel cas l'astuce porte-t-elle sur la nature des rendez-vous, ou bien sur l'expression " mer Cantabrique " ? Le mystère reste entier.


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Re: Le chaînon manquant Messagepar Buonardo » 20 avr. 2022 à 02:39
Mon interprétation est differente. “habiles” fait AMHA référence “aux mains” donc un lien avec la 600 et au NNP. Un rdv est un lieu ou on doit se rendre. Donc trois ports en mer cantabrique qui forment un tout?
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 20 avr. 2022 à 10:14
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Trois ports, ou peut-être trois navires ? Le blason de LAREDO s'y prête tout à fait, pour un nom qui a en plus l'avantage de rassembler trois notes de musique : LA - RE - D0, une autre manière astucieuse de se donner rendez-vous. Ce qui me chagrine un peu avec cette hypothèse, pourtant séduisante à plus d'un titre, c'est qu'un rendez-vous de trois navires ou de trois notes en un lieu quelconque, ce n'est pas à proprement parler trois rendez-vous. Trois ports en mer Cantabrique qui formeraient un tout, en un sens, correspond mieux à la définition, tu as raison. A moins de l'entendre comme trois navires qui chacun recevraient le nom d'un lieu de rendez-vous ? Peut-être... Reste que, pour ma part, l'avantage premier que l'on peut retirer du blason de Laredo, c'est évidemment le lien avec les parchemins du Secret de la Licorne, étant convaincu de l'influence d'Hergé dans cette chasse, et en particulier de cet album. " Car c'est de la lumière que viendra la... clarté ? Et resplendira la croix de l'Aigle... "


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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 20 avr. 2022 à 12:21
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L'emblématique Torre del Oro , l'un des monuments les plus célèbres de Séville, célèbre cette année son huitième centenaire depuis la conclusion de ses travaux de construction en tant que bastion de l'ancienne médina almohade. Cette tour, de plan dodécagonal et haute de près de 37 mètres, a été construite entre 1220 et février 1221 sur ordre du gouverneur almohade Abù-I-Ulà sur les rives du Guadalquivir pour terminer la coracha, un pan de muraille perpendiculaire à l'enceinte principale de la muraille entourant l'Alcazar.


La prise de Séville par Ferdinand III : la légende de la chaîne de la Tour de l'Or

Selon la légende, le centre vital du port de Séville était délimité au XIIe siècle par un système de madriers et de chaînes qui, arrimées à la Tour de l'Or d'un côté, passaient sous l'eau jusqu'à une autre tour située à Triana, sur l'actuelle rue Fortaleza. Les chaînes pouvaient être hissées par un treuil et ainsi fermer la zone.

Lors de la reconquête de la péninsule Ibérique par les souverains chrétiens en 1248, la chaîne aurait été brisée par l'équipage du navire du capitaine Ramón de Bonifaz, originaire de Santander, ce qui permit à Ferdinand III de Castille de pénétrer dans le port, privant ainsi les Almohades de leur principal moyen d'approvisionnement. Pourtant, dans les chroniques écrites par Alphonse X de Castille, qui décrivent avec précision la prise de Séville, une seule chaîne est mentionnée : celle qui fixait le pont flottant situé plus au nord, à l'emplacement actuel du pont Isabelle II, et il semblerait que ce soit cette dernière qui fut arrachée par le navire du capitaine de Bonifaz, venant d'amont, chargé de pierres et de terre pour en augmenter le poids, et donc la puissance. Le pont ainsi détruit priva les Almohades de leur principale voie de ravitaillement, ce qui mena à leur perte. Le système de chaînes et de madriers situé au niveau de la Tour de l'Or fut érigé plus tard et existait par contre au XVIe siècle.

Cette légende de la Reconquista se retrouve malgré tout, depuis, sur les armoiries de la Cantabrie ainsi que sur celles de plusieurs de ses communes : Santander, Laredo, Castro-Urdiales et San Vicente de la Barquera. Cette scène historique est également reproduite dans les armoiries d'autres villes cantabriques et asturiennes telles que Santoña, Comillas, Avilés et Ribadeva .


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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 20 avr. 2022 à 12:58
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Bon essayons de voir ces blasons, on y apprendra peut-être quelque chose. Voici déjà celui de Comillas, assez remarquable il faut le dire. On y retrouve effectivement la Tour de l'Or et la légende de la chaîne brisée. D'ailleurs je ne pensais pas si bien dire en parlant de " chaînon manquant "...
« Finalement, ayant perdu l’esprit sans ressource, il vint à donner dans la plus étrange pensée dont jamais fou se fût avisé dans le monde. » Miguel de Cervantes
james
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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 20 avr. 2022 à 14:41
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Le blason de Ribadedeva y fait référence également, puisqu'il reprend les armes de Santander tout en y ajoutant la croix des Asturies. On s'éloigne un peu, mais la côte des Asturies semble elle aussi baignée par la mer Cantabrique. Rien de plus à signaler du côté des blasons de Santoña, d'Avilès, de San Vicente de la Barquera ou de Castro-Urdiales.



La mer Cantabrique (en espagnol, Mar Cantábrico) plus rarement mer de Biscaye, désigne, en Espagne, le sud du golfe de Gascogne. La zone ainsi désignée s'étend depuis l’embouchure de l'Adour à Bayonne, limite du Pays basque et des Landes, jusqu'à l'Estaca de Bares (Galice) le point le plus septentrional de la péninsule Ibérique, dans la province de La Corogne. Sont touchés par ces eaux le Pays basque (en France comme en Espagne), la côte de Cantabrie, la côte des Asturies et le nord-est de la Galice.

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Re: Le chaînon manquant Messagepar james » 20 avr. 2022 à 15:18
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Au final, toute cette région, qui va de la Cantabrie (dont je reproduis ici le blason sur lequel figure aussi, au bas, le labarum cantabrique) aux Asturies semble être profondément marquée par cet épisode historique survenu lors de la Reconquista, épisode dit de la " chaîne brisée "qui conduira à la prise de Séville. S'il y a quelque chose à retenir de ces rendez-vous en mer Cantabrique, à mon avis c'est bien ça. Reste à faire la clarté sur tout ça.
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