Socrate, coq et cygne...

Discussions au fil de l'eau sur la 530
Coltrane
Chevêche
Messages : 50
Enregistré le : 02.01.2012
Socrate, coq et cygne... Messagepar Coltrane » 17 oct. 2022 à 09:55
Platon nous offre dans son Phédon un lien direct entre le plus grand sage de l’antiquité (Socrate) et le Coq (sa dernière volonté avant de mourir est de sacrifier un coq à Asclepios, mais pourquoi donc ?).

Yoneko NURTANTIO a bien résumé l’interprétation qu’on peut faire du Phédon.

En demandant à Criton de sacrifier un coq, Socrate laisse entendre qu’il tient à imiter l’animal qui chante à l’aube et, dans le même temps, les cygnes qui chantent à leur mort, parce qu’il s’apprête lui aussi à entrer dans la lumière véritable.

Les dernières paroles de Socrate ont fait couler beaucoup d’encre et donné lieu aux interprétations les plus diverses. La majorité des commentateurs se sont focalisés sur l’identité du dieu dont Socrate s’affirme être le débiteur : pourquoi sacrifier à Asclépios – autrement dit : qu’est-ce qui a été soigné ?

Dans l’imaginaire grec, le coq a pour caractéristique principale d’annoncer par son chant le lever du jour. En effet, pour s’être malencontreusement endormi devant la chambre d’Arès et d’Aphrodite, laissant ainsi le Soleil découvrir puis rapporter à Héphaïstos l’infidélité de son épouse, le jeune garde Alektryon se voit métamorphosé en coq. Cela explique pourquoi cet animal porte toujours l’aigrette d’un casque et est condamné à chanter chaque matin l’arrivée de l’aube.

Or, dans le Phédon, la lumière est de façon récurrente associée aux Formes et aux objets intelligibles.

Trois exemples pour illustrer cette symbolique, bien qu’il soit possible d’en énumérer davantage.

Premièrement, au moment où Phédon est en proie au doute face aux objections de Simmias et de Cébès, Socrate compare leur situation à l’embarras d’Héraclès qui appelle Iolaos au secours, « tant qu’il y a encore de la lumière », précise-t-il (89c). Au premier degré, ces mots indiquent à Phédon qu’il lui faut se hâter de solliciter l’aide de Socrate avant le soir, à l’heure où il aura bu le poison.
Mais en considérant l’endroit du dialogue où viennent s’insérer ces mots, juste avant la mise en garde contre la misologie – le refus de se fier aux déductions logiques –, une autre interprétation est envisageable : « tant qu’il y a encore de la lumière » peut en effet signifier « tant que nous y voyons encore clair dans les raisonnements et avons une chance de toucher au réel, avant que l’on ne soit aveuglés par la misologie ».

Ensuite, la comparaison entre la contemplation des Idées et d’une éclipse de soleil (99d-e).

[...] et si (notre) nature était capable de soutenir cette vision, l’on saurait que c’est vraiment là le ciel, la véritable lumière et véritablement la terre. (Platon, Phédon, 109e.)


Enfin, l’homme ailé du mythe final qui, à la différence des mortels d’ici-bas, peut contempler la réalité en pleine et authentique lumière :

Nous savons donc (1) que le coq est par excellence celui qui annonce le lever du jour, et que, (2) dans le Phédon, la lumière coïncide avec le contact avec le Réel immuable.

Si ses disciples s’inquiètent de sa mort prochaine, Socrate se réjouit quant à lui d’atteindre l’état auquel il a tendu toute sa vie durant : délivré du corps, son âme sera enfin en contact direct avec les objets de la pensée, qui sont toujours les mêmes qu’eux-mêmes. Il s’identifie en cela avec les cygnes, qui expriment en une ultime mélopée leur joie à l’idée de retrouver celui qu’ils servent, Apollon, dieu de la divination et de la lumière.

« Mais les hommes, du fait de leur propre crainte de la mort, mentent jusqu’au sujet des cygnes, et prétendent que c’est par tristesse que ceux-là, gémissant sur leur mort, exhalent leur dernier chant, mais ils ne songent pas qu’il n’existe pas un oiseau qui chante lorsqu’il souffre la faim, le froid ou quelque autre mal, pas même le rossignol, l’hirondelle ou la huppe, dont on affirme qu’ils chantent une lamentation sous le coup de la tristesse. Mais je ne pense pas que ceux-là chantent de chagrin, ni davantage les cygnes, mais je crois que, puisqu’ils appartiennent à Apollon, ils sont devins et, connaissant par avance les bonheurs de l’Hadès, ils chantent et se réjouissent ce jour-là d’une façon différente qu’ils ne l’ont fait auparavant. Quant à moi, je me considère comme un compagnon de servitude des cygnes et comme consacré au même dieu, comme ayant reçu du maître un art divinatoire non moindre au leur et comme quittant la vie avec aussi peu de tristesse qu’ils ne le font. (Platon, Phédon, 84e-85b.)

En mettant ces trois éléments en perspective – la joyeuse composition musicale de Socrate, les cygnes à leur mort et le coq à l’aube –, l’on s’aperçoit qu’ils se rejoignent, se complètent et enrichissent la scène finale. Car, à l’instar des cygnes et du coq, Socrate a célébré son entrée dans la lumière, en servant son Dieu Apollon...

Retourner vers « 530 »

Qui est en ligne

Utilisateurs enregistrés : Google [Bot]