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Quel que soit le moment où l’on envisage l’histoire humaine, l’on se trouve renvoyé à des générations antérieures. Cette remarque est capitale. De proche en proche, l’on remonte ainsi, forcément et toujours, jusqu’au premier homme, en qui le courant s’inaugure par suite de la disparité entre l’état initial et l’état de déchéance : les souvenirs qu’après leur chute mentale Adam et Eve ont eus de leur condition antécédente constituent les eaux mères du grand fleuve, ou, pour employer une autre image, le premier anneau de la grande chaîne de la Tradition. Ils forment de même la première minute du Temps. Tradition et Temps vont en effet ensemble. Sans ce décalage, le fonctionnement de l’esprit humain, tel qu’il se présente à nous, ne se fût jamais amorcé. Ou l’homme fût resté un prodigieux surhomme, ayant pleinement accès au dynamisme du Réel, et n’ayant par suite aucun besoin de la Tradition, ou il rentrerait complètement dans l’animalité, ne possédant alors qu’une tradition organique, c’est-à-dire des instincts. En d’autres termes, si l’homme était simplement parti de l’animalité, il y serait plongé encore, et ce ciment intellectuel que nous appelons tradition n’eût jamais pris consistance. C’est le fait d’être parti de plus haut, d’être retombé plus bas, et de chercher inéluctablement à regagner le point de départ, c’est-à-dire d’aspirer à une recréation, qui a tout formé dans l’espèce humaine et qui forme tout ce qu’il y a de spécifiquement humain dans l’homme.
En d’autres termes, dans les profondeurs de notre temps et de notre espace, se dérobe un monde souterrain, un monde de lumière, présentement invisible et insaisissable, mais destiné à reparaître un jour : telle est la substance de la tradition primordiale, telle qu’elle s’est constituée dans l’esprit du premier homme dès l’instant de la chute, c’est-à-dire dès la première seconde de la durée humaine, dès le premier emprisonnement dans les cachots de l’étendue. Et tel est le fond de toutes les traditions humaines.
Claude de France est la première survivante des enfants d’Anne de Bretagne et Louis XII. Nous sommes le 13 octobre 1499. La Reine Anne de Bretagne vient de mettre au monde une fille, Claude de France, princesse de sang royal. Louis XII, Roi de France, est en admiration devant sa fille. Adorée de ses parents, Claude de France vit une enfance particulièrement heureuse. Choyée par sa mère et son père, Claude de France bénéficie de la meilleure éducation qu’il soit. Littérature, musique, géographie, latin et même religion : toutes les matières sont abordées afin de permettre à la jeune femme de tenir le rôle de Reine de France qui l’attend. Son destin est en effet tout tracé. Dès sa naissance, son père le Roi Louis XII souhaite lui accorder le meilleur des mariages. Son choix se porte rapidement sur François d’Angoulême, son petit cousin et héritier présomptif. En effet, si la Reine Anne de Bretagne ne donne pas naissance à un héritier mâle, François d’Angoulême – fils de Louise de Savoie – montera sur le trône. Vous l’aurez compris, il s’agit bien de François Ier.
Louis XII, né le 27 juin 1462 au château de Blois et mort le 1er janvier 1515 à Paris, surnommé le « Père du peuple » par les états généraux de 1506, est roi de France de 1498 à 1515.
Naissance et famille
Louis d'Orléans est le fils de Charles d'Orléans, le prince poète, et de Marie de Clèves. Il est le petit-fils du duc Louis Ier d'Orléans (frère cadet du roi Charles VI), qui fut assassiné en 1407 par le duc de Bourgogne Jean sans Peur. Il est l'arrière-petit-fils de Charles V. Orphelin de père à deux ans, il est pris en tutelle par Louis XI, qui lui prodigue une éducation sévère.
Premier mariage
En 1476, Louis XI organise son mariage avec sa fille Jeanne de France (née le 23 avril 1464 à Nogent-le-Roi, dite Jeanne la Boiteuse), physiquement estropiée : Louis XI espère ainsi provoquer l'extinction de la branche d'Orléans, qui menace toujours la branche aînée des Valois directs. Au moment du mariage de sa fille et du futur Louis XII, Louis XI aurait cyniquement glissé à l'un de ses confidents « […] pour ce qu'il me semble que les enfants qu'ils auront ensemble ne leur coûteront point cher à nourrir […] ». Ce mariage est vécu par Louis d'Orléans comme un affront.
Sacré roi en 1498, il fait reconnaître nulle cette union par le pape Alexandre VI pour non-consommation (s'appuyant en outre sur le traité de Langeais qui stipulait que le successeur de Charles VIII devait épouser sa veuve). Jeanne de France conteste en vain cette affirmation (« bien que je sache très bien que je ne suis ni aussi jolie ni aussi bien faite que les autres femmes, mon mariage a bien été consommé »). Elle se retire au couvent, à Bourges et y fonde, plus tard, l'ordre des religieuses de l'Annonciade, destiné à honorer la Sainte Vierge et le mystère de l'Annonciation. Morte en odeur de sainteté, elle est canonisée en 1950.
Le prince rebelle
Échec à obtenir la régence
À la mort de Louis XI, il échoue à obtenir la régence aux états généraux de Tours, confiée à Anne de Beaujeu.
Guerre folle (1485-1488)
Après les péripéties de la guerre folle où il combattait aux côtés du duc François II de Bretagne, il est fait prisonnier à la bataille de Saint-Aubin-du-Cormier, en juillet 1488. Gracié après trois ans de détention (qu'il passe dans les prisons d'Angers, de Sablé, de Lusignan, de Poitiers, de Mehun-sur-Yèvre et de Bourges), il suit son cousin, le roi Charles VIII, en Italie à la tête des avant-gardes de l’armée.
Roi de France
Accession au trône et sacre
Le 7 avril 1498, Charles VIII meurt accidentellement, sans enfant survivant. Louis se rend au château d'Amboise le lendemain pour rendre hommage au corps du défunt : il y est reçu et honoré par la Cour comme souverain. Les fiefs, possessions et prétentions des Orléans rentrent dans le giron de la monarchie. Dès son accession au trône, il manifeste cependant un désir profond de ne pas rompre avec la tradition des Valois. Sa célèbre phrase, « le roi de France ne venge pas les injures faites au duc d'Orléans », témoigne de sa volonté de réconciliation et de continuité. Le 27 mai 1498, Louis XII est sacré en la Cathédrale de Reims.
Mariage avec Anne de Bretagne
En échange du Valentinois érigé en duché, qu'il donne à César Borgia, fils du pape Alexandre VI, il obtient la reconnaissance de nullité de son premier mariage et épouse à Nantes le 8 janvier 1499 Anne de Bretagne, la veuve de Charles VIII, qui avait hérité, en vertu de leur contrat de mariage, de l'ensemble des prétentions des rois de France sur le duché. La Bretagne reste ainsi dans l'orbite de la France, mais le nouveau contrat de mariage spécifie que l'héritier du royaume ne pourra être héritier du duché. Il signe un traité comprenant deux lettres, l'une pour le mariage comprenant cinq clauses est publiée le 7 et la deuxième publiée le 19 janvier 1499 de treize clauses comprenant des dispositions générales concernant le duché de Bretagne dont le rétablissement de la souveraineté d'Anne de Bretagne sur son duché (rétablissement des Chancellerie, Conseil, Parlement, Chambre des comptes, Trésorerie, Justice, monnaie et séparation des deux couronnes).
Signature du traité de Blois
Le 22 septembre 1504, il signe le traité de Blois, qui prévoit le mariage de sa fille, Claude de France, avec le futur Charles Quint, et celui de sa nièce Germaine de Foix à Ferdinand II d'Aragon, le roi cédant alors à sa nièce ses droits sur le royaume de Naples. À la demande des états généraux de Tours de 1506, sa fille est finalement fiancée à François d'Angoulême (le futur François Ier). C'est également lors de ces états généraux qu'il est officiellement nommé « Père du Peuple », le chanoine de Notre-Dame, Thomas Bricot, étant chargé de cette mission. Ce titre lui avait été accordé en raison de l'ordre intérieur dans lequel il avait maintenu le royaume, la baisse de la taille d'un quart de son montant, et la réforme de la justice accomplie entre 1499 et 1501. Sa politique expansionniste justifiait aussi ce titre de « Père du Peuple », plutôt que le titre plus habituel de « Fils du Peuple » ou encore de Pater Patriæ.
Politique intérieure
Louis XII administre son domaine avec intelligence. Il utilise les recettes des impôts pour le bien du pays en entretenant le réseau routier. S'il diminue la taille, il augmente toutefois les impôts indirects. Son principal ministre est le cardinal Georges d'Amboise. Il renouvelle la Pragmatique Sanction de Bourges assurant une marge de liberté dans le choix du clergé. Ceci lui vaut l'image d'un roi chevalier, juste et chrétien, par ailleurs empreint de tolérance à l'égard des protestants vaudois du Luberon, et celle d'un nouveau César. Il est le premier à mettre à ce point en avant l'image de la reine (Anne de Bretagne). Devenu veuf le 9 janvier, il se remarie le 9 octobre 1514 à Abbeville avec Marie Tudor, la très jeune sœur du roi Henri VIII d'Angleterre, pour sceller sa réconciliation avec ce dernier.
Mort et succession
Affaibli par l'âge, par les hémorragies intestinales à répétition qui ont menacé de le tuer plusieurs fois au cours de sa vie, par les excès et la goutte, Louis XII meurt au terme de dix-sept ans de règne, le 1er janvier 1515 en l'hôtel des Tournelles à Paris, à l'âge de 52 ans. L'hôtel des Tournelles se situe à deux pas de l'hôtel Saint-Pol natal de son père Charles d'Orléans et d'autres de ses ascendants et/ou prédécesseurs sur le trône. Les propagandistes du futur François Ier répandent la rumeur sur sa sénilité, son impuissance et le fait qu'il se serait épuisé dans la chambre à coucher à force de vouloir concevoir un fils avec Marie Tudor. Il laisse le trône à son cousin et gendre François, époux de sa fille aînée Claude, qui devient le roi François Ier. Louis XII est inhumé en la nécropole royale de la basilique de Saint-Denis, où il repose auprès de ses prédécesseurs.
Visions de son règne
De la Fronde jusqu'au terme du XVIIe siècle, Louis XII tend à personnifier une monarchie modérée, qui empiète peu sur les seigneuries et ne lève pas excessivement d'impôts, image idéalisée contrastant avec les représentations de Louis XI. Fénelon écrit ainsi, dans sa Lettre à Louis XIV (1694) : « Si le Roi, dit-on, avait un cœur de père pour son peuple, ne mettrait-il pas plutôt sa gloire à leur donner du pain, et à les faire respirer après tant de maux, qu'à garder quelques places de la frontière, qui causent la guerre ? ».
Comparé avantageusement à Saint Louis et Henri IV, le « sage Louis XII » est également loué par Voltaire (Henriade, 1726), Montesquieu ou l'abbé de Cordier de Saint-Firmin. Pour ce faire, les dépenses et manœuvres militaires du règne sont éclipsées. L'Académie française va jusqu'à proposer un concours d'éloge du « Père du peuple » cinq ans avant que n'éclate la Révolution française, concours remporté par l'abbé Noël.
La figure royale fournit le sujet de pièces de théâtre sous la Révolution (Une journée de Louis XII ou Louis XII Père du peuple de Charles-Philippe Ronsin, jouée en février 1790). Alors que le Panthéon est réservé aux hommes de la Révolution (sauf Descartes, Voltaire et Rousseau), le député Charles Lambert de Belan tente de faire valoir, le 12 février 1792, une exception pour Louis XII et Henri IV, « les seuls de nos rois qui se soient montrés les pères du peuple ». Avec l'intensification de la Révolution, son aura pâlit. Ainsi, par décret de la Convention nationale en date du 31 juillet 1793, les dépouilles du souverain et d'Anne de Bretagne sont exhumées de leur tombeau le 18 octobre 1793.
Marie Tudor (1496-1533)
Marie Tudor (18 mars 1496 – 25 juin 1533) est la fille cadette d'Henri VII Tudor et d'Élisabeth d'York. Elle est la sœur cadette du roi Henri VIII.
Elle est d'abord promise en mariage à Charles Quint, futur empereur du Saint-Empire romain germanique. Elle épouse finalement le 9 octobre 1514 à Abbeville Louis XII, roi de France, qui la laisse veuve après quelques mois de mariage et dont elle n'eut pas d'enfant. En 1515, elle épouse en secondes noces Charles Brandon, duc de Suffolk.
À la cour de France
Lorsqu'elle épouse Louis XII de France, Marie Tudor a 18 ans alors que son époux en a 52. Elle est couronnée le 5 novembre 1514 à la Basilique Saint-Denis. Ce mariage redonne un peu de vigueur au roi qui est veuf d'Anne de Bretagne depuis quelques mois seulement et dont la santé se dégrade. De plus, le roi veut un fils de la nouvelle reine pour empêcher que la couronne ne passe à son cousin, le futur roi François Ier.
La reine, quant à elle, souhaite également un fils pour garder son titre et ne pas être renvoyée en Angleterre après la mort de son époux, mais les jours du roi semblent comptés. Le roi meurt le 1er janvier 1515 de consomption, trois mois seulement après que le mariage a été célébré. On internera tout de même Marie 40 jours à l'hôtel de Cluny afin de s'assurer qu'elle ne porte pas d'enfant. Louise de Savoie fait surveiller étroitement la « reine blanche » (couleur du deuil à l'époque), car toute grossesse pourrait écarter son fils François du trône. Début mars 1515, elle est surprise avec Charles Brandon, duc de Suffolk, favori du roi Henri VIII. La jeune reine et Brandon, de 12 ans son aîné, sont tous deux renvoyés le lendemain en Angleterre.
Retour en Angleterre
En 1515, Marie épouse en secondes noces (sans l'autorisation du roi Henri VIII son frère) Charles Brandon, dont elle aura trois enfants : Henry, Frances (mère de l'éphémère reine Jeanne Grey) et Eleanor.
Les relations entre Henri et Marie se tendent vers la fin des années 1520 car elle est opposée à la demande d'annulation du mariage de son frère avec sa première épouse, Catherine d'Aragon. Et elle n'apprécie guère la future reine, Anne Boleyn, qui a été l'une de ses dames d'honneur à la cour de France. Marie meurt en 1533, à 37 ans, avant que son frère ne déclenche le schisme qui donnera naissance à l'anglicanisme.
À noter
Marie Tudor serait représentée sur les tapisseries de La Dame à la licorne.
La thèse de M. André Arnaud, exposée dans la Revue de l'art no 209 d’octobre 1981, numéro spécial « Magie de la tapisserie », soutient que la mystérieuse Dame de La Dame à la licorne du musée de Cluny est Marie Tudor. Les tapisseries ont été tissées pour Antoine Le Viste, peut-être à Bruxelles, Tournai ou Bruges. Elles peuvent être l’œuvre du peintre Jehan Perréal, dit « Jehan de Paris ». La Suivante est Claude de France, épouse de François Ier. Les six tapisseries actuellement visibles au musée national du Moyen Âge - thermes et hôtel de Cluny, à Paris, rescapées d’une série de huit tapisseries, racontent divers épisodes de la vie de Marie en France. La Chasse à la licorne et La Dame à la licorne : deux œuvres de Jehan Perréal.
- Comme je te l'ai déjà dit, le quatrième noyau abstrait des histoires de sorcellerie s'appelle la descente de l'esprit ou le fait d'être mû par l' "intention". L'histoire dit que, pour que les mystères de la sorcellerie se dévoilent à l'homme dont nous avons parlé, il a été nécessaire que l'esprit descende sur cet homme. L'esprit choisit un moment où l'homme était égaré, inattentif, et, sans faire preuve de la moindre pitié, il laissa sa seule présence déplacer le point d'assemblage de cet homme vers une position précise. Cet emplacement fut depuis lors qualifié par les sorciers de lieu sans pitié. L'implacabilité devint, ainsi, le premier principe de la sorcellerie.
Don Juan me demanda, comme en passant, si j'avais réussi à me souvenir de quoi que ce soit au sujet des quatre dispositions de l'art du traqueur. J'avouai que j'avais essayé de le faire mais que ma mémoire m'avait trahi.
- Tu ne te souviens pas que je t'ai enseigné la nature de l'implacabilité ? me demanda-t-il. L'implacabilité, le contraire de l'apitoiement sur soi-même ?
Je ne m'en souvenais pas. Don Juan sembla réfléchir à la question qu'il poserait ensuite. Puis il abandonna. Les commissures de ses lèvres s'affaissèrent, dans une mimique de fausse impuissance. Il haussa les épaules et marcha rapidement vers un terrain plat qui se trouvait au sommet d'une colline toute proche.
- Tous les sorciers sont implacables, dit-il, pendant que nous étions en train de nous asseoir sur le sol. Mais tu sais cela. Nous avons longuement parlé de ce concept.
Après un long silence, il me dit que nous allions continuer à parler des noyaux abstraits des histoires de sorcellerie, mais qu'il avait l'intention d'en dire de moins en moins, lui-même, sur ce sujet, parce que le moment était venu où ce serait à moi de les découvrir et de faire en sorte qu'ils révèlent leur sens.
- Remémore-toi la première fois que je t'ai enseigné l'implacabilité, me dit-il. Le fait de se remémorer est lié au déplacement du point d'assemblage.
Don Juan me dit que pour permettre ce déplacement, il fallait que la pensée de tous les jours s'interrompe.
- Je veux que tu te souviennes d'un mouvement particulier de ton point d'assemblage. Et, pour cela, tu dois cesser de penser comme tu le fais normalement. Alors, le type de pensée que j'appelle la pensée claire prendra le relais et t'amènera à te remémorer. Il y a des années - et c'est cela que je veux que tu te remémores -, ton point d'assemblage a atteint le lieu sans pitié.
- Je vous demande pardon ? répliquai-je.
- Le lieu sans pitié est l'emplacement de l'implacabilité, me dit-il. Mais tu sais tout cela... Essaie de te rappeler ce que tu sais déjà de cela.
Il se tut pendant un moment, puis parla sans me regarder.
- La remémoration n'est pas la même chose que le souvenir, poursuivit-il. Le souvenir dépend du type de pensée au jour le jour, alors que la remémoration est dictée par le mouvement du point d'assemblage. Le fait de se rappeler un événement dans sa totalité grâce à un déplacement du point d'assemblage s'appelle la remémoration des sorciers.
Ses commentaires me désespéraient parce que je ne pouvais pas en débattre. Je restai silencieux. Je me demandais quoi faire lorsqu'il se leva et commença à s'éloigner. Je l'arrêtai en le retenant par la manche. C'était un geste involontaire de ma part qui me surprit et le fit rire. Il se rassit, avec une expression de surprise.
- Je ne voulais pas être impoli, dis-je, mais je dois en savoir plus sur ce sujet. Il m'attriste.
- Déplace ton point d'assemblage, m'exhorta-t-il. Nous avons déjà parlé de l'implacabilité. Remémore-toi cela !
Il me regarda avec un espoir sincère, alors qu'il devait avoir vu que je ne pouvais rien me remémorer, car il continua à parler des modèles d'implacabilité des naguals. Il me dit que chaque nagual créait une forme d'implacabilité qui lui appartenait en propre. Il prit tout d'abord comme exemple mon cas et me dit qu'en raison de ma conformation instable, j'apparaissais aux voyants comme une sphère lumineuse non pas composée de quatre boules condensées en une - ce qui est la structure habituelle d'un nagual -, mais seulement de trois boules condensées. Puis il me décrivit le comportement du nagual Elias. Il me dit que le masque de son benefactor était celui d'un homme heureux, calme, sans aucun souci, mais que sous cette apparence, il était, comme les naguals, aussi froid que le vent arctique.
- Mais vous n'êtes pas froid, don Juan, dis-je sincèrement.
- Bien sûr que si. C'est l'efficacité de mon masque qui te donne une impression de chaleur.
Pendant qu'il parlait il ne cessa de me regarder. Et, peut-être parce qu'il m'observait aussi intensément, je fus tout à fait incapable de me concentrer sur ce qu'il disait. Je fis un effort considérable pour rassembler mes pensées.
Il me regarda un moment sans rien dire, puis se remit à m'expliquer ce qu'était l'implacabilité, mais je n'avais plus besoin de ses explications. Je lui dis que je venais de me remémorer ce qu'il voulait que je me remémore : la première fois, au cours de mon apprentissage, où j'avais réussi - seul -, avec une grande précocité, à changer de niveau de conscience. Mon point d'assemblage atteignit la position que l'on appelle le lieu sans pitié.
Carlos Castaneda - La force du silence
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